PORTRAIT D’ENSEIGNANT : PAUL-MARIE FIDÈLE CHANGO

Avant de rentrer dans l’Ordre de Saint Dominique, j’enseignais la philosophie en classes de terminales et je formais et accompagnais les élèves qui préparaient leur baccalauréat dans les séries littéraires et qui avaient un intérêt avéré aussi bien pour la philosophie que pour les langues anciennes et modernes.

Après mes vœux perpétuels et mon ordination sacerdotale dans l’Ordre des Prêcheurs au sein de ma province, tenant certes compte de ce passé, m’a suggéré de me former en sciences bibliques pour répondre aux besoins de professeurs qui se faisaient pressant et face auxquels mon provincial et son conseil avaient, à l’époque, à prendre des décisions judicieuses.

C’est ainsi qu’après mon premier cycle en sciences bibliques au prestigieux Pontificium Institutum Biblicum de Rome, je suis arrivé à l’École biblique et archéologique française de Jérusalem pour finir ma thèse, en restant sans réserve à la disposition de l’Ordre dont les vues à mon sujet sont restées, jusqu’au bout, conformes aux orientations initiales.

Dans ce contexte, après ma thèse doctorale en sciences bibliques défendue à l’ÉBAF sur les livres sapientiaux vétérotestamentaires, j’ai enseigné l’hébreu biblique et l’exégèse de l’Ancien Testament pendant deux ans au Studium Generale Dominicanum de la Province dominicaine d’Afrique de l’Ouest et à l’ISTAY (Institut Saint-Thomas d’Aquin à Yamoussoukro, Côte d’Ivoire) avant de rejoindre le corps enseignant de l’ÉBAF où j’enseigne l’exégèse des livres sapientiaux et des traditions sapientielles de l’AT.

Parallèlement aux cours que je donne à l’ÉBAF sur les livres sapientiaux vétérotestamentaires et conjointement aux travaux académiques que je dirige, la majeure partie de mes recherches actuellement porte sur le commentaire du Qohélet dans la BEST (Bible En Ses Traditions). Cette œuvre dont la réalisation est incontestablement chronophage, je la mène dans une étroite collaboration avec Jean-Jacques LAVOIE (Professeur à l’Université du Québec à Montréal). C’est un volume qui se veut proprement encyclopédique et qui prend inévitablement une ampleur considérable (qui confine déjà à pas moins de 1 500 pages en PDF). Nous sommes au stade du peaufinage du manuscrit et de sa mise en ligne (exceptionnellement réservée aux spécialistes du Comité Éditorial de la BEST), puis dans 2 ou 3 ans seront programmées les formes d’édition officielle imprimée de l’ouvrage en entier.

Une question éminemment importante sur le plan académique et en l’occurrence dans les recherches sur les traditions sapientielles vétérotestamentaires est celle des probables affinités entre le Qohélet et les vestiges littéraires et philosophiques grecques. Plusieurs réponses avaient été données en considérant les doctrines des écoles philosophiques grecques et non pas de manière spécifique et pointilleuse les philosophes pris de façon isolée et examinés en toute rigueur à partir de leurs propres œuvres. Aussi à cette question dont les avatars sont, par exemple, la datation du Qohélet ou encore la composition du chef-d’œuvre sapientiel (et autres) ai-je explicitement répondu dans deux volumes qui se complètent : Paul-Marie Fidèle Chango, Qohélet et Chrysippe au sujet du temps : Εύκαιρία, αίών et les lexèmes ‘êṯ et ‘ōlām en Qo 3,1-15, CahRB 81, Paris : Gabalda, 2013 ; Idem, L’Ecclésiaste à la confluence du judaïsme et de l’hellénisme, CahRB 93, Leuven : Peeters, 2019.

Dans le prolongement des enquêtes faites à cet égard, ce qui me passionne dans mon domaine c’est la manière dont, d’une part, la prosopopée de la sagesse (qui n’est pas un locus favori des questionnements qohélétiens mais plutôt de Pr 1,20-33 ; 8,1-36 ; 9,1-6.13-18 ; Si 4,15-19 [Hébreu] ; Si 24,3-22 ; Jb 28 ; Sg 7,22-8,1) et, d’autre part, les possibilités non seulement de la christologisation de la sagesse mais aussi de la sapientialisation de certains aspects de la christologie contemporaine laissent observer, de nos jours, une recrudescence des études approfondies qui apportent davantage de lumière en la matière. Dans ce filon, plusieurs travaux sont déjà menés dont les plus connus en langue Française restent sans doute, A. Feuillet, Le Christ Sagesse de Dieu d’après les Épîtres Pauliniennes, EtB [AS 53], Paris : Gabalda, 1966 ; J.-N. Aletti, « Proverbes 8,22-31 : Étude de structure », Biblica 57 (1976) p .25-37 ; M. Gilbert — J.-N. Aletti, La Sagesse et Jésus-Christ, CE 32 (1980) ; M. Gilbert, « Le discours de la Sagesse en Proverbes, 8 », Idem (éd.), La Sagesse de l’Ancien Testament, Leuven : Leuven University Press, 1990, p. 202-218 ; M. Fédou, La sagesse et le monde : essai sur la christologie d’Origène, Jésus et Jésus-Christ 64, Paris : Desclée, 1995 ; Idem, « Enjeux contemporains d’une christologie sapientielle », J. Trublet, (éd.), La sagesse biblique, LD 160, Paris : Cerf, 1995, p. 467-493 ; Y. F. G. GAMBADATOUN, Connaître le mystère — Connaître la sagesse. La γνῶσις et l’unité ecclésiale et cosmique en Éphésiens 3,1-13, Analecta biblica. Dissertationes 229, Roma, PBI — Gregorian & Biblical Press, 2020. Mais ce chantier reste toujours une piste de recherches dont les hypothèses probantes encouragent encore et revendiquent des investigations dont les démarches heuristiques assorties de l’examen critique des écrits des Pères latins et grecs devront tenir compte d’une bonne partie du vocabulaire conceptuel des Pères marqué par les concepts philosophiques grecs.

En tant que chercheur et professeur ce qui me saisit et me touche viscéralement au jour le jour c’est la cosmicité et l’aspect cosmopolite de la ville de Jérusalem. Ici je me sens partie intégrante du monde entier voire de tout l’univers étant donné l’interculturalité qui se joue de toute évidence dans ce lieu fréquenté par des milliers de pèlerins et de touristes de toutes les nationalités du globe. Il est vrai que Is 2,2-4 (qui est un commentaire renouvelé de Is 2,12-17) ; puis Is 41,5 et Is 49,18.22-23 (dont quelques éléments reviennent en filigrane en Is 60,1-7 et en Is 66,18) annoncent l’affluence vers Jérusalem en provenance d’une multitude de nations. Et il va sans dire que les Actes des Apôtres, dans le récit du jour de la Pentecôte, soulignent, déjà de façon singulière, un aspect patent (Ac 2,5.9-11) du caractère cosmopolite de Jérusalem en parlant des hommes ἀπὸ παντὸς ἔθνους τῶν ὑπὸ τὸν οὐρανόν (« de tout pays d’entre ceux qui sont sous le ciel », Ac 2,5) qui constituaient l’aréopage éclectique (Ac 2,14) à la fois hiérosolymitain et supranational devant lequel Pierre tint sans ambages  son discours tout en faisant, avec un raffinement consommé, une exégèse serrée de Jl 3,1ss ; Ps 16,8ss ; Ps 110,1ss ; Ps 132,11ss ; 1Ch 17,11.14ss ; 2S 7,12-17. Néanmoins, l’internationalité inaliénable autant anthropologique que culturelle des passagers / résidents qui cohabitent, qui se côtoient et qui se fréquentent à Jérusalem — toutes considérations politiques et/ou religieuses mises de côté — est d’autant plus manifeste de nos jours que cela m’interpelle sans cesse et me rappelle avec insistance dans quelle mesure la réflexion intellectuelle et académique sur l’inculturation de la Parole de Dieu ne saurait perdre de vue son interculturalité. Pour tout dire en peu de mots, bien qu’adressé à des femmes et à des hommes intégrés dans des cultures diverses, le message de la résurrection en Ac 2, par exemple, reste destiné à toute l’humanité et à tout être humain en tant qu’appelé à vivre à la ressemblance du Christ en qui l’engendrement baptismal dans le nouvel Adam invite à faire éclore sans opacité l’imago dei que l’Adam primordial n’a pas réussi à entretenir avec perfection. Ceci me ramène de manière intégrale, systématique et soutenue aux réflexions que je mène constamment avec grande circonspection sur Bible et Cultures et a fortiori sur les rapports intrinsèques entre l’internationalité / universalité des littératures sapientielles vétérotestamentaires et les particularités / spécificités de l’élection du peuple qui en a reçu le dépôt de la révélation.

 

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