Archéologie : une thèse sur dix siècles de céramique culinaire

Ancienne élève de l’École biblique, Laura est archéologue et doctorante à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne. Elle a tenu une conférence à l’École sur les fouilles du Notre-Dame Center de Jérusalem le jeudi 16 février dernier (Une maison byzantino-omeyyade vue par le prise de la céramique). Pour l’École, elle explique la nouveauté et l’originalité de son sujet de thèse.

La thèse de Laura Vié : céramique culinaire

La céramique du Proche-Orient, d’une manière générale, et plus précisément des territoires cisjordaniens et transjordaniens, a fait l’objet de nombreuses études, notamment pour les périodes comprises dans le premier millénaire de notre ère. Nos connaissances sur de nombreuses catégories de poteries se sont accrues de manière exponentielle depuis une vingtaine d’années.

C’est notamment le cas des amphores orientales tardives. Toutefois, un domaine reste encore mal connu : la céramique culinaire. Contrairement aux céramiques fines, telles que les sigillées orientales tardives, ou bien même les amphores, cette catégorie n’a fait l’objet que d’un petit nombre d’études. De ce fait, nos connaissances sur le sujet sont très lacunaires.

Ce domaine de la recherche céramologique est totalement inédit pour ces zones du sud du Levant, aucune étude d’envergure n’ayant été effectuée sur le sujet. C’est dans le but de remplir ces lacunes que j’ai entamé une thèse intitulée : « La céramique culinaire du Ier au IXe siècle de notre ère en Palestine et Jordanie : approches typo-chronologique, économique et culturelle » sous la direction de D. Pieri à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Une catégorie omniprésente dans les fouilles

La dénomination « céramique culinaire » regroupe l’ensemble de la poterie destinée à aller sur le feu, c’est-à-dire, à la cuisson des aliments (1). Parmi celle-ci, on compte plusieurs grandes formes distinctes : des marmites, des casseroles, des poêles, des coquelles, des couvercles et des bouilloires.  Il s’agit de la deuxième catégorie de céramique la plus importante en terme quantitatif que l’on rencontre lors des fouilles après les amphores. Cette grande catégorie possède des propriétés bien particulières qui la différencient du reste de la poterie, en raison de leur utilisation. En effet, ces récipients doivent pouvoir résister aux nombreux chocs thermiques imposés par les passages répétés sur le feu lors des cuissons.

L’emprise chronologique de cette thèse est relativement importante. Elle prend en compte le début de notre ère et va jusqu’à la fin de la période omeyyade, plus précisément jusqu’au IXe siècle après J-C.. Cette longue période s’explique par la possibilité de suivre durant plusieurs siècles les évolutions d’une même forme (2), la persistance de caractères particuliers, propres à une région ou à plus grande échelle.

Une dizaine de chantiers

Sur le plan géographique, l’étude se concentre sur les territoires qui correspondent actuellement à Israël, aux Territoires Palestiniens et à la Jordanie, régions qui semblent relativement homogènes au niveau de la céramique. De nombreuses formes de céramiques culinaires se rencontrent indifféremment dans les zones à l’est ou à l’ouest du Jourdain. L’étude s’appuie notamment sur dix sites de références qui quadrillent l’ensemble de ces régions : Saint-Pierre-en-Gallicante, le Tombeau des Rois et Notre-Dame-Center (Jérusalem), Blakhiyeh (Gaza), Mambré et ‘Ain el-Ma’moudiyeh (Hébron), Samarie-Sebaste (Territoires Palestiniens), Tell Keisan (Galilée), Ain ez-Zara, Khirbet es-Samra et Khirbet edh-Dharih en Jordanie (3). Elle se base donc sur ces sites de références (4), mais également sur la céramique présente dans les publications.

L’étude de la céramique destinée à la cuisson d’une manière globale est un sujet inédit pour cette région du sud du Levant. Jusqu’à présent, seules quelques études ponctuelles ont été effectuées. Mis à part la très bonne étude de D. Adan-Bayewitz sur la production de céramique culinaire du site de Kefar Hananya (5), on ne constate aucune étude d’envergure sur ce sujet.

L’objectif de cette thèse

Le but de cette thèse est donc de tenter d’augmenter nos connaissances sur la céramique culinaire. Il s’agit de se concentrer sur la place de la céramique culinaire dans la production, le commerce et dans l’utilisation quotidienne. L’étude se base sur trois grands aspects principaux dont le premier est une approche typo-chronologique qui vise à élaborer une première classification globale de la culinaire, tout en mettant en évidence les diverses évolutions des formes. Le second aspect important de cette étude est lié aux questions économiques avec notamment la détermination des zones de production (et des ateliers lorsque cela est possible), ainsi que des axes de diffusion de la céramique de cuisson (6). Enfin, le troisième point principal concerne un aspect davantage culturel, qui permet d’aborder des questions comme l’alimentation et l’usage de la poterie de cuisson, mais également les mentions de celle-ci dans les sources textuelles (7) et iconographiques, telles que les mosaïques.

Cette thèse, en croisant divers angles de recherche, permet d’apporter de précieuses informations sur les céramiques culinaires, et de gommer une partie des nombreuses zones d’ombre autours de ce sujet, dont l’une des principales est la datation.


(1) Cette terminologie n’englobe pas la vaisselle de table, ni celle de service.
(2) Dans certains cas, on constate l’origine d’une forme dès la période hérodienne, voire la fin de la période hellénistique, et qui perdure jusqu’à la fin de la période byzantine, et même omeyyade.
(3) Il s’agit de sites pour lesquels j’ai la possibilité de travailler directement sur le matériel, pour certains depuis plusieurs années.
(4) Outre l’observation des formes présentes sur ces sites, cela permet de pouvoir mieux caractériser les différentes pâtes et d’avoir des contextes bien documentés et bien datés.
(5) Le site de Kefar Hananya se situe en Galilée. ADAN-BAYEWITZ (D.), Common Pottery in Roman Galilee. A Study of Local Trade. Ramat-Gan, 1993.
(6) Plusieurs échelles de diffusion sont observables, allant d’une diffusion locale à un commerce à l’échelle de la Méditerranée. Des marmites palestiniennes ont ainsi été mises au jour lors de fouilles dans le sud de la France, comme à Marseille, sur le site de la Bourse (Coeur-Mezzoud 1998, fig. 130).
(7) Sont prises en compte aussi bien les mentions dans les textes rabbiniques (Talmud et Mishna) que dans les textes chrétiens (Bible et vies de saints) et des recettes antiques, comme celles du Pseudo-Apicius, ou arabes.