Les ossements de Tell El Far’ah réétudiés par une archéologue italienne

Giacoma Petrullo est en séjour à l’École biblique pour une vingtaine de jours, invitée par le fr. Jean-Baptiste Humbert op, elle est docteur en archéologie de la Sapienza de Rome et de l’Université Paris Ouest (Nanterre). Giacoma est spécialisée dans l’étude technologique et fonctionnelle de « l’industrie osseuse », c’est à dire des ossements d’animaux, utilisées pour fabriquer des outils ou des objets de culte. Archéologue en chair et en os, elle nous explique son travail et la raison de sa venue.

Comment avez-vous découvert l’École biblique ?

J’ai été invitée par le fr. Humbert pour travailler sur les collections osseuses de Tell Far’ah, un site de Cisjordanie fouillé en 1946 par l’École biblique. L’idée était de ré-éxaminer avec de nouvelles méthodes ces matériaux découverts il y a maintenant 70 ans. Le site de Tell Far’ah montre une stratigraphie très complexe avec niveaux de l’ère chalcolithique, de l’âge du bronze, de l’âge de fer et même de la période romaine. Lorsque l’étude sera terminée, il sera possible d’avoir une vision diachronique de la production osseuse dans ce site, une vision dans le temps.

Je connaissais l’École et plus en détails les travaux du fr. Jean-Baptiste Humbert, je dois dire que c’est un cadre idéal pour travailler, j’y ai trouvé les collections bien conservées et l’accueil nécessaire.

En quoi consiste exactement votre travail ?

Je travaille sur des os d’animaux qui ont été utilisés comme matière première pour fabriquer des outils. Je m’intéresse autant à leur valeur culturelle que fonctionnelle. Dans cette étude toutes les étapes de chaîne opératoire sont considérées, depuis la sélection de l’espèce animale et de la partie anatomique, les modalités d’approvisionnement, de fabrication, jusqu’à l’abandon de la pièce, après son utilisation. Après avoir groupé les outils en morpho type sur base technologique j’essaye de remonter à leur utilisation. Tous le choix technologique et fonctionnel mené par les groupes sont caractéristiques de leur tradition culturelle. Pour ces études, je me sers de la microscopie et de l’archéologie expérimentale : dans le cas de l’étude technologique il s’agit de la reproduction des gestes techniques pratiquées pour fabriquer le objets qui sont dans la collection (méthodes et procédés). Cela nous permettra aussi de comparer les traces techniques de l’échantillon expérimental avec celui de l’échantillon archéologique.

Les analyses de l’état de conservation de l’os sont aussi très importantes, il faut qu’il aie résisté aux conditions climatiques, à l’infiltration d’eau, aux racines, etc. Il y a un vrai tri à faire.

Quel exemple pourriez-vous nous donner d’ossements déjà étudiés ?

J’ai surtout travaillé en Afrique du nord et j’ai notamment étudié la culture du Capsien supérieur (7500 et 6000 avant J.-C.). Pour cette période, dans les industries osseuses, on retrouve beaucoup de déchets de débitage d’os long de gazelles ou d’alcelaphus (Gazella dorcas ou d’Alcelaphus buselaphus), généralement des métapodes, dont on comprend qu’ils ont été fendus par plusieurs rainures parallèles a l’aide du silex. Le débitage de ces os permettait de créer plusieurs supports à partir d’une seule matrice de fabrication (le métapode). Ces supports ont les mêmes caractéristiques morphométriques et, une fois façonnés, donnaient des outils pointus. Mon travail est de retracer les choix techno-économiques au sein du groupe qui fabriqué les outils. Il s’agit de choix qui sont toujours très représentatifs d’une période ou d’une autre et surtout d’une culture.

Un deuxième niveau d’analyse est celle de type fonctionnelle. Cette analyse nous permet d’établir le rôle de l’outillage osseux dans les dynamiques comportementales des groupes. Par exemple, parmi les outil pointus des collections capsiennes analysées nous avons reconnu des outils utilisés pour le travail des paniers, en particulier pour tresser de la vannerie.