REMISE DE MÉMOIRE DE FIN D’ANNÉE

L’École biblique accueille tous les ans et pour l’année complète deux boursiers de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Au terme du second semestre, chaque boursier doit remettre un unique mémoire de recherche aux deux institutions. Pendant cette année académique 2019-2020, Xavier Lafontaine, doctorant en sciences religieuses et en philologie grecque, a choisi de travailler sur le thème suivant : « Une étude sémantique de l’étonnement dans le Nouveau Testament ».

« La candidature à la bourse d’étude de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres auprès de l’EBAF engage à remettre, au terme du séjour, un mémoire de recherche. Comme j’ai pris plaisir à suivre un certain nombre de cours et de séminaires cette année, j’ai choisi de proposer ce mémoire au conseil académique de l’EBAF pour demander à valider le titre d’élève-titulaire de l’EBAF (ce qui n’est pas obligatoire) : l’approche des textes bibliques selon les méthodes de la sémantique que propose M. Christophe Rico m’a séduit et permis de renouer avec ma formation en lettres classiques et en grammaire comparée, suivie entre la France et l’Allemagne jusqu’à mon agrégation de grammaire en 2015.

Qui a un peu fréquenté les philosophes grecs ou qui s’est initié à la philosophie avec le célèbre ouvrage de la philosophe suisse Jeanne Hersch sait l’importance du lien entre étonnement et pensée ; mais les récits évangéliques mentionnent eux aussi souvent l’étonnement de leurs protagonistes et des témoins qu’ils mettent en scène. Il suffit de penser à l’Annonciation, aux miracles opérés par la figure de Jésus ou aux récits de la Résurrection : ces détails narratifs donnent une coloration incarnée aux évangiles qui m’a toujours fasciné. Aussi ma curiosité a-t-elle été emportée quand M. Rico a évoqué l’intérêt que pourrait avoir une étude linguistique de l’expression de l’étonnement dans le Nouveau Testament !

Nos traductions modernes rendent souvent par des termes liés à l’étonnement ou à la surprise différents termes grecs, verbes ou substantifs, qui se recoupent tout en restant distincts. Ce travail propose une première description sémantique qui vise à donner des outils pour mieux apprécier et comprendre la richesse de la langue grecque sur ce point — j’espère avoir le temps de l’approfondir pour en proposer un article. Aux exégètes, ensuite, de s’en approprier les conclusions s’ils le souhaitent. La méthode linguistique appliquée au Nouveau Testament permet en effet de faire un pas de côté par rapport à l’exégèse et de reconsidérer ces textes à partir d’un point de vue extérieur. On peut alors les confronter, en tant que système linguistique, à des œuvres littéraires proches, pour en éclairer les similitudes et les spécificités, ici sur le plan lexical.

Mes conclusions concernent d’abord la structure du domaine sémantique de l’étonnement telle qu’on peut la reconstituer à partir de l’usage du Nouveau Testament : le terme le moins marqué est thaumázein, s’étonner, qui permet de décrire l’émotion fondamentale de l’étonnement. J’étais surpris aussi de constater les écarts assez importants qui concernent la place donnée à cette émotion, d’un évangéliste à l’autre, ou par comparaison aux épîtres : par exemple, on s’étonne assez peu chez Jean ou dans l’Apocalypse — ce qui ne veut pas dire que cette émotion n’y a pas d’importance, au contraire. Autre exemple, Marc est le seul à insister sur l’étonnement en tant que stupeur, en utilisant le verbe (ek)thambeîsthai, être stupéfait, voire être effrayé, rare dans le grec de cette époque. Les autres auteurs décrivent plus volontiers l’étonnement à partir de l’impact physique ou cognitif qu’il a sur celui ou celle qui en fait l’expérience : un choc (ekplḗssesthai) ou une altération cognitive profonde, qui peut aller, dans de rares cas, jusqu’à une modification de la conscience (existánai, exístasthai, ékstasis qui donne extase en français). La crainte, le phóbos, est parfois proche, mais les termes préservent généralement l’idée fondamentale d’une émotion qui surgit face à l’inattendu ou à l’extraordinaire — cette dernière se fond dans la crainte seulement quand l’inattendu est perçu comme une menace, immédiate ou plus floue : à Gethsémani, Marc présente Jésus éprouvant un effroi et une angoisse en coordonnant ekthambeîsthai kai adēmoneîn (Mc 14, 33), la porosité des deux domaines, exploitée par l’évangéliste, est perceptible, ici il n’est plus exactement question d’être stupéfait !

Travailler de front sur mes recherches doctorales et sur ce mémoire m’a grandement stimulé : un travail doctoral engage une réflexion continue, parfois aride, sur plusieurs années. Ce mémoire s’inscrit dans un cadre plus modeste, où la réflexion est concentrée sur une année. Ma thèse porte sur une analyse plutôt littéraire et formelle des Oracles sibyllins juifs et chrétiens, un recueil d’oracles rédigés en langue poétique grecque. Les rédacteurs prétendent faire annoncer à la Sibylle le Jugement dernier et diverses catastrophes, dans un entrelacs de références bibliques et épiques. L’attention à la métrique et au choix des mots utilisés pour paraphraser les épisodes bibliques est constante dans ce travail, ce qui a recoupé la méthode utilisée dans ce mémoire : partir d’une attention suivie portée au texte et à son lexique pour essayer d’en dégager des faits saillants, en mettant de côté ce que l’on croit savoir a priori.

Je suis reconnaissant à l’AIBL, à l’EBAF et à M. Christophe Rico de m’avoir donné un cadre pour explorer un domaine auquel je n’aurais pas forcément eu le courage de me confronter sans ces conditions idéales. »

Xavier Lafontaine
Doctorant en sciences religieuses (Université de Strasbourg)
et en philologie grecque (Université de Rome La Sapienza)
Boursier de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres

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