Une recherche au carrefour de la philosophie, de l’art et de la Bible !

L’inter-semestre à l’École Biblique permet à des chercheurs de venir passer quelques temps dans les rayons de la bibliothèque, pendant que les étudiants annuels sont en vacances.
Victor Veuillet, étudiant en histoire de la philosophie médiévale et en philosophie de l’art, en Master 2 à l’Université Paris 1, fait partie de ces chanceux : rencontre ! 


Victor, peux-tu nous présenter tes sujets de recherche dans le cadre de ton Master ? 

Je souhaite travailler sur l’écriture et les Écritures dans la première moitié du 12ème siècle chez les exégètes chrétiens et juifs. À cette période, les philosophes de l’école-abbaye de Saint-Victor de Paris et les écoles talmudiques du Nord de l’Europe se trouvent dans la même démarche exégétique et spirituelle : une quête de l’origine qui trouve son expression dans une étude philologique des saintes Écritures.
À Saint-Victor, on cherche à en mieux définir le sens premier, le sensus litteralis, ce qui conduit ces penseurs latins à renouer avec le grec et l’hébreu. Dans les yeshivot, les exégètes héritiers de Rachi accordent une attention plus grande au peshat, le sens évident des textes, pour refonder leur herméneutique. Le contexte intellectuelle et politique du moment est alors propice à des échanges entre tous ces brillants esprits, qui semblent s’inspirer les uns les autres. 

En parallèle, le rapport à l’objet livre et à l’écriture-même dans les manuscrits chrétiens et juifs change de manière sensible au cours du 12ème siècle : en témoignent la paléographie et la codicologie médiévale, mais aussi l’histoire de l’art, qui s’est beaucoup intéressée à l’ornementation des lettres. Je cherche donc à établir le lien entre la lecture renouvelée des Écritures, amorcée par ces auteurs, et les changements que l’on observe plus généralement dans l’écriture.  

Comment lier la philosophie, l’art et la Bible ?

Pour le dire de manière très schématique, l’art, la religion et la philosophie ne sont pas trois voix différentes mais sont contenues les unes dans les autres, surtout à cette période. La Bible est leur grille de lecture, le monde visible leur champ expérimental et la philosophie leur discours. Les Écritures sont le terreau de tous ces auteurs médiévaux ; en conséquence c’est son exégèse qui détermine leur lecture de l’Univers entier. Hugues de Saint-Victor nous appelle par exemple à déchiffrer le monde visible comme on doit lire les Écritures : il propose une herméneutique du réel fondée sur celle qu’il applique à la Bible.

L’étude rigoureuse de la lettre du texte et la méditation sur les Écritures sont certes primordiales, mais elles visent à dévoiler derrière le lisible et le visible, le principe de sagesse invisible qui est à l’origine du tout. En ce sens, certains Médiévaux placent eux-mêmes leur travail sous le signe de la philosophie qu’ils entendent au sens strict, comme la discipline de la sagesse.

Les trois termes sont ainsi subordonnés, puisque les productions artistiques au sens large révèlent sous une forme sensible et immédiate ce que la religion intériorise dans la méditation, que la philosophie finit par exprimer de manière dialectique. En d’autres termes, penser la Création pour ces auteurs, c’est en contempler l’image (l’écriture en est une) et en lire le livre, c’est-à-dire la Bible.

Pourquoi venir ici, à L’École Biblique ? 

Mon mémoire sur Hugues de Saint-Victor m’a conduit, tout comme ce dernier, à me rapprocher des origines hébraïques et grecques de la Bible. L’école m’a semblé être l’endroit le plus propice pour cette approche.

Bien que mon horizon de recherche demeure strictement philosophique, les penseurs que j’étudie sont avant tout des exégètes : il me faut donc assimiler la rigueur de cet exercice qui est au cœur de la recherche à l’EBAF. 

Curieusement, j’ai trouvé à l’école biblique un esprit qui devait être assez proche de celui qu’animait l’abbaye de Saint-Victor au 12ème siècle: une exégèse sans cesse problématisée, un lieu de rencontre et de dialogue et surtout une bibliothèque qui attire, par sa richesse, son organisation et son actualité, des chercheurs du monde entier.

Enfin, c’est une école dont la vocation est aussi de confronter la lettre du texte à la réalité archéologique et j’y suis très sensible. Dans le domaine de la pensée comme de l’artisanat, les hommes ne nous laissent pas seulement un ouvrage, mais aussi des traces de leur présence, une patte singulière qui dit quelque chose de leur technique, de leur manière de penser la création-même. A l’image d’un archéologue, l’historien de l’art et même l’historien de la philosophie semble étudier les traces : l’écriture, l’objet livre sont autant d’indices, et peut-être même des plus éloquents.
Je suis très reconnaissant pour l’accueil qui a été rendu possible par les frères dominicains, bien que je ne sois pas étudiant ici !

C’est ta première fois à Jérusalem, comment décrirais-tu ton expérience ici ?

J’ai été très bien accueilli à l’école et à Jérusalem : la sympathie, l’intelligence et l’esprit de partage que j’ai trouvés ici ont été particulièrement enrichissants. Quant à la ville et ses alentours, le soleil n’était peut-être pas toujours au rendez-vous mais s’y rendre à cette période permet aussi de découvrir la région en dehors de toute fièvre estivale ou d’agitation touristique. Il m’a semblé en avoir un aperçu plus authentique, plus proche de sa réalité humaine et matérielle. J’ai essayé de me défaire de tout a priori poétique, politique ou spirituel à son sujet avant d’arriver, afin de laisser l’esprit de cette ville se manifester tel qu’il est.  Sa découverte m’a beaucoup appris sur la relation si complexe qui unit les hommes à leur histoire et au sacré. Je ne peux qu’espérer y revenir.