QUAND L’EXPLOSION DE VIOLENCE INTERROGE LA VOCATION DU PRECHEUR

Frère Olivier catel, o.p., dominicain de la province de France, est assistant en littérature et exégèse juive à l’École biblique et archéologique française de Jérusalem. Dans le cadre de la rédaction de sa thèse en Talmud et loi juive à l’Université hébraïque de Jérusalem, il passe une année studieuse à Oxford pour en poursuivre la composition. De retour à Jérusalem, parmi ses frères, pour quelques semaines, il témoigne :

” Depuis mon arrivée en Terre sainte en 2016, je suis étudiant à l’Université hébraïque de Jérusalem. Après un Master de « Bible et Orient ancien » et un apprentissage intensif de l’hébreu, je me suis inscrit en « Talmud et Halakhah » (loi juive). J’ai commencé en 2020, pendant la Covid, une thèse sur le jeûne dans la littérature rabbinique et chrétienne primitive (troisième siècle de notre ère). Quelle est la place laissée au jeûne privé et à la liberté de l’individu face à l’autorité religieuse ? Comment les tentatives d’encadrement par les rabbins et la jeune Église parviennent-elles ou non à créer une identité et une théologie communes ? Avec l’accord des frères prieur et directeur, en route pour une année oxonienne, à «Blackfriars ». Le but ? Terminer la thèse et pouvoir à mon retour intégrer l’équipe enseignante de l’École avec tous les diplômes requis.

Le couvent d’Oxford est un studium, c’est-à-dire un couvent qui forme les jeunes frères de la Province d’Angleterre. C’est aussi un hall de l’Université d’Oxford qui dispense des enseignements à une quarantaine d’étudiants chaque année. Les journées sont rythmées par la liturgie, du temps pour travailler (pas de déjeuner à midi !) mais aussi par quelques conférences. Oxford est fidèle à sa réputation : une ville universitaire ancienne regorgeant de bâtiments néogothiques et de bibliothèques richement pourvues. A peine étais-je installé dans cette ambiance studieuse et propice à l’écriture que la guerre éclatait. Déjà les horreurs innommables du 7 octobre qui ont ébranlé en profondeur la société israélienne et mes amis juifs avec qui j’ai partagé ma peine et mes prières ; puis la guerre à Gaza. Envie de rentrer à Jérusalem, d’être auprès de ma communauté, de m’engager dans du bénévolat en Terre sainte… Inutilité de ces mouvements de l’âme et du cœur troublé.

M’étant un peu ressaisi, j’ai redécouvert le sens profond de ma vocation dominicaine. Ni soldat, ni politique, ni membre d’une O.N.G., je suis un moine qui étudie, ce que nos frères juifs appellent un «talmid hakham », le « disciple du Sage ». L’étude est notre forme de prière et notre prédication : quand la barbarie surgit, que nos convictions morales sont ébranlées, il ne reste au frère dominicain que le pouvoir de sa pensée et de son étude. Conserver la mémoire vivante d’une tradition juive et chrétienne, penser que cette étude contribue à un monde meilleur fondé sur l’intelligence et l’étude de la Parole de Dieu dans son acception la plus large. Cette année est donc un temps de préparation non seulement bien sûr à l’enseignement et à la recherche mais aussi – et surtout – une préparation à la prédication. Après les destructions et les haines, le manque de confiance dans les forces de l’esprit, j’ose penser que les frères de l’École dont je suis auront toute leur place dans le travail de reconstruction morale et intellectuelle.
Cette année est donc pour moi le temps des semences d’un nouveau printemps qui, malheureusement, n’est pas encore là.”

Fr. Olivier Catel, o.p.
Doctorand