Peux-tu te présenter ?
Je m’appelle Arthur, doctorant en égyptologie à la Sorbonne, après avoir fait 6 ans à l’ENS de Paris où j’ai étudié les lettres classiques, avec une spécialisation en linguistique indo-européennes puis en linguistique sémitique, en parallèle avec un master d’égyptologie à la Sorbonne.
Après quatre ans sur un poste d’enseignement à la Sorbonne mené en de front avec un travail d’archiviste à la bibliothèque d’égyptologie du Collège de France (Institut des Civilisations), j’ai cherché un cadre où passer ma cinquième et dernière année de thèse pour finir le travail de rédaction. Après mon agrégation, c’est dans cette perspective que j’ai postulé à la bourse de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres (AIBL) pour un séjour d’un an à l’ÉBAF.
Pourquoi as-tu choisi l’ÉBAF pour ta fin de thèse ?
J’avais déjà séjourné à l’École biblique quatre mois en 2020 en qualité d’assistant pour le programme de recherche la Bible en ses traditions. Ce furent quatre mois des plus intenses, très stimulants d’un point de vue intellectuel. En effet, les conditions de vie à l’Ébaf font qu’on peut se consacrer totalement à ses études. J’avais gardé de ce premier séjour le souvenir très positif d’une certaine effervescence intellectuelle, pas seulement liée à la quantité de livres lus à la bibliothèque, mais aussi aux rencontres de professeurs dont le covid m’a, à l’époque, malheureusement empêché de suivre les cours jusqu’au bout. Je pense également aux discussions de très haute volée intellectuelle à table ou dans la vie quotidienne avec des personnes, enseignants et chercheurs dont on partage la vie à l’École.
Quel est ton projet académique ?
Mon but cette fois-ci était avant tout de terminer ma thèse. Ces quatre années passées m’ont donné goût à la recherche et, malgré la faible quantité de postes comparé au nombre de doctorants et post-doctorants, j’aimerais faire mes preuves en enchainant sur un ou plusieurs post-doctorats sans doute à l’étranger. Cette année à l’Ébaf est différente de mon séjour comme assistant à la BEST. Je n’avais alors pas le même quotidien. Mes horaires de travail étaient fixés par le Fr. Olivier-Thomas VENARD, o.p., et une fois mes missions réalisées j’assistais à des cours. Retrouver après quatre ans des visages familiers, les offices en commun, les repas en communauté était assez réconfortant.
Photo : ÉBAF, Ordo Prædicatorum. Voyage d’étude en Jordanie, à Petra.

Quelles sont les forces de l’ÉBAF selon toi ?
J’ai eu un vrai plaisir à retrouver la bibliothèque, extrêmement bien fournie. Quand j’étais assistant de la BEST, j’avais juste soumis mon projet de thèse et n’avais pas du tout les mêmes centres d’intérêt. Je me concentrai sur les études bibliques et le Proche-Orient ancien. Cette fois-ci, j’ai été très agréablement surpris en découvrant la richesse de la collection égyptologique de la bibliothèque fortement développée. Il y a assez peu de bibliothèques qui proposent une telle variété de sujets couvrant l’Antiquité. Il faut reconnaître le travail effectué par les frs. Pawel TRZOPEK, o.p., puis Bernard NTAMAK-SONGUÉ, o.p. Concentré sur la bibliothèque, j’ai moins profité d’autres pôles, si ce n’est l’atelier d’épigraphie et paléographie du P. Émile PUECH, un endroit particulièrement fascinant où a lieu le cours de paléographie sémitique.
Comment articuler foi et raison dans un tel contexte ?
A l’exception de l’ENS, de mon travail au Collège de France et à la Sorbonne, j’ai plus longtemps étudié dans des cadres où foi et études étaient mêlées que l’inverse. Alors je me suis construit en tant qu’humain et chrétien comme quelqu’un qui associe intimement étudier et pratiquer sa foi. Quand on évolue dans un environnement laïc, c’est plus difficile de maintenir sa pratique : il faut davantage de volonté et demander plus d’aide à Dieu pour maintenir cette double-vie qui peut être étanche. Ici, au contraire, il n’y a pas d’opposition entre étude et foi. Chacune a la place de s’épanouir sans concurrence mais en nourrissant l’autre. C’est enthousiasmant et riche, humainement et spirituellement, de pouvoir concilier les deux sans être tiraillé. Mon étude des langues anciennes a, en partie, pour but de comprendre les textes bibliques. Il n’est pas indispensable de maîtriser cela pour avoir une foi solide comme le roc, mais mes connaissances en latin, grec et maintenant hébreu et araméen me permettent d’avoir un accès plus profond aux textes bibliques et à leurs contextes. Comme on le répète à l’Ébaf, il y a effectivement un lien entre le monument et le document, les textes ne sont pas sortis de nulle part. Le contexte en question est judéen, israélite, mais aussi cananéen, proche-oriental, égyptien car l’Égypte a administré le Levant pendant une longue période. La bible comporte des influences de ces zones et de ceux qui y ont régné. Une partie des textes fut même rédigée lors de l’exode à Babylone. En ce qui me concerne, certains textes sur lesquels je travaille trouvent un écho dans des textes bibliques. Par exemple, à l’intérieur d’un chant d’amour égyptien utilisé dans ma thèse, il y a des motifs qu’on retrouve dans le Cantiques des cantiques, une forme de transfert des rapports amoureux entre bien-aimés. Cela tord le cou à l’idée que retrouver les origines de la bible éloignerait de la foi.
Dans ce contexte, que signifie Terre sainte pour toi ?
Cette terre est sainte au sens où elle est terre d’élection judéo-chrétienne. La sainteté n’appartient pas intrinsèquement à la terre, mais parce que Dieu a choisi de s’y révéler, d’abord à un peuple, puis à l’humanité tout entière en s’incarnant. C’est aussi une terre d’élection pour les musulmans : la tradition entourant leur Prophète dit qu’il aurait effectué un voyage nocturne à Jérusalem. Dans ces traditions religieuses, Dieu a choisi cette terre comme point de départ de sa révélation aux humains. (Re)venir à cette origine, c’est aussi essayer d’en retracer l’histoire : d’abord celle de la relation d’un peuple avec Dieu, puis la relation de l’humanité avec Dieu, via son fils, Dieu fait homme, qui fait le choix de s’incarner ici il y a 2 000 ans.
Photo : ÉBAF, Ordo Prædicatorum. Jeudi de l’ÉBAF d’Arthur, conférence en ligne sur notre chaîne YouTube.
Tes séjours ici ont-ils fait évoluer cette vision ?
Certainement. En quittant Jérusalem en 2020, j’ai eu l’intime conviction qu’il s’agirait d’un souvenir gravé éternellement dans ma mémoire. Là où cela change ma perspective, c’est que, honnêtement, j’étais assez peu réceptif à la notion de lieu saint : j’étais déjà allé à Rome, Assise… un certain nombre de sanctuaires et y étais peu sensible. Or, pour moi, à Jérusalem la sainteté des lieux prend tout son sens : Jésus a foulé, habité, donné sa vie et surtout est ressuscité en ces lieux. Lors de ma première visite au Saint Sépulcre, il s’est produit quelque chose en moi, un déclic, j’ai compris ce qu’est un lieu saint et ce que cette définition signifie. Pour moi, il n’y a qu’en Terre sainte que mon rapport aux lieux saints a quelque chose de différent.
Que dire à quelqu’un qui envisagerait de venir étudier à l’ÉBAF ?
Je l’avertirais au même titre que je l’encouragerais : à l’ÉBAF offre un certain cadre de vie comme qui favorise une forme d’ascèse : on ne vient pas à l’ÉBAF pour sortir tous les soirs, pour avoir une vie sociale comme à la maison. On vient ici pour se recentrer sur un objectif académique et personnel ; pour mener une double retraite : non seulement spirituelle -on vit au rythme des cloches d’un couvent, on peut participer aux différents offices, mais aussi intellectuelle car on acquiert des connaissance, on essaye de tirer le meilleur parti de cours exigeants et des ressources de la bibliothèque, on échange avec les membres de la communauté académique… Je dirais aussi que c’est une année hors du temps qui compte dans une vie sur le plan spirituel et intellectuel. C’est une occasion unique à ne pas gâcher. La vie habituelle d’un chercheur c’est beaucoup de réunions , de discussions, d’événements et c’est très bien. Cependant, il y a très peu de moments pour se retirer et se nourrir intellectuellement de façon presque boulimique : c’est le sentiment que j’ai depuis mon arrivée, je n’ai jamais autant lu de livres ; n’en déplaise à mes quatre dernières années de doctorat. En somme, on vit ici une vie intellectuelle à la fois solitaire à la bibliothèque, mais très connectée lors des conversations et des événements organisés par l’ÉBAF, comme les sorties topographiques et les conférences du jeudi. Il faut s’avoir à quoi s’attendre, sur le caractère ascétique d’une telle année d’étude, mais en même temps c’est une occasion inégalable qu’il faut saisir à tout prix.
Que dirais-tu à d’éventuels donateurs ?
Dans un monde où la recherche gratuite -celle pour faire avancer la connaissance du monde qui nous entoure, des civilisations qui nous ont précédé, des êtres humains qui ont vécu avant nous- devient de moins en moins valorisée et où la reconnaissance manque, il faut justement défendre de telles possibilités. C’est ce que vous pouvez faire en soutenant l’Ébaf. Et s’il y a un endroit où l’argent est bien placé, au-delà de l’humanitaire et du caritatif, c’est ici dans la recherche. Les dons servent concrètement à créer un bienfait, au sens littéral et étymologique du terme.