KATELL BERTHELOT – LA CONVERSION AU JUDAÏSME DE L’ANTIQUITÉ À NOS JOURS

Katell Berthelot est spécialiste du judaïsme de l’époque héllenistique et romaine. Elle fréquente l’École biblique et notamment la bibliothèque depuis 1998, époque de sa thèse, passée en partie à l’Université hébraïque. À partir de 2003 elle fait plusieurs séjours de recherche à l’École biblique et y donne à deux reprises un cours sur l’exégèse juive de la Septante au Talmud, en 2011 et 2013.

Quelles sont les nouveautés depuis votre dernière venue en 2019 ?

De 2014 à 2019, j’ai bénéficié d’un financement européen de type ERC (European Research Council). Le Conseil Européen de la Recherche est une instance européenne qui finance des projets de recherche dans tous les domaines au niveau de l’Europe et à l’international. J’ai obtenu un financement pour un projet de recherche sur l’impact de la confrontation avec l’idéologie impériale romaine sur la pensée juive, entre le Ier siècle avant notre ère et le début du IVe siècle.

Je voulais revenir sur un problème qui me semble fondamental dans l’histoire juive à savoir la confrontation avec un Empire romain qui met durablement fin au culte sacrificiel du Dieu d’Israël, en détruisant le Second Temple, en rapportant les ustensiles sacrés du Temple à Rome pour les placer dans un temple à la déesse Pax, et en imposant un impôt aux Juifs dans tout l’Empire, impôt qui se substitue à la taxe du demi shekel que versaient les Juifs au Temple de Jérusalem. Le fait que le Temple ne soit jamais reconstruit correspond à une volonté politique de la part des Romains qui avaient bien compris le lien entre le culte du Dieu d’Israël et la révolte. En empêchant la reconstruction du Temple de Jérusalem et en fermant celui de Léontopolis en Egypte, l’Empire romain s’assure qu’il n’y ait plus de temple au Dieu d’Israël sur son territoire et, sans interdire le judaïsme (les coutumes et le mode de vie juifs), il met fin au culte juif. 

Ce projet de recherche a associé des chercheurs européens, israéliens et américains. Une équipe était aussi financée par l’argent du projet : six post-doctorants, une gestionnaire et un informaticien. L’idée était de favoriser un dialogue entre historiens du monde romain, spécialistes d’épigraphie grecque et latine, spécialistes de numismatique, spécialistes de sources rabbiniques, historiens du christianisme, … Nous avons créé une base de données, Judaism and Rome, qui est en libre accès en anglais, dans laquelle nous proposons des analyses de sources littéraires, épigraphiques, iconographiques, numismatiques, et nous essayons de créer un dialogue entre ces sources pour montrer qu’elles peuvent contribuer à s’éclairer mutuellement.

En plus de ce site internet et de ce travail sur les sources primaires, nous avons organisé toute une série de colloques internationaux et nous avons publié les actes de ces colloques. Il y a eu, en tout, quatre volumes collectifs parus dont deux sont en accès libres sur internet grâce à l’École Française de Rome qui a aidé à leur publication. J’ai aussi rédigé un livre de synthèse, Jews and Their Roman Rivals : Pagan Rome’s Challenge to Israel,, qui est paru en anglais chez Princeton University Press en octobre dernier et a obtenu le National Jewish Book Award dans la catégorie « Recherche » aux États-Unis.

La raison de votre venue à Jérusalem est-elle liée à ce projet ?

Non, je suis là pour un projet différent. Avec une de mes anciennes post-doc de ce projet et une collègue de l’Université Ben Gurion à Beer-Sheva, nous avons beaucoup travaillé sur le thème des convertis au judaïsme. On a réfléchi aux parallèles qu’il pouvait y avoir entre les processus permettant d’accorder la citoyenneté romaine à des non-Romains et le processus de la conversion au judaïsme tel qu’il est conceptualisé dans les sources littéraires juives, en particulier chez Philon d’Alexandrie et dans la littérature rabbinique.

L’Université d’Aix-Marseille est devenue l’une des tutelles du CRFJ (Centre de recherche français à Jérusalem) et met à disposition des chercheurs  des financements pour organiser des actions en lien avec le CRFJ. Nous nous sommes dit que c’était une opportunité formidable : organiser un colloque sur le statut des convertis au judaïsme de l’Antiquité à nos jours en Israël avec le CRFJ. Le colloque a donc eu lieu la semaine dernière : une journée à l’Université Ben Gurion et une journée et demie au CRFJ, avec des biblistes, des spécialistes du judaïsme antique, des historiens du Moyen-Âge, mais aussi de l’époque moderne et contemporaine, des juristes, des anthropologues. Ce qui est assez original, c’est que nous avons aussi eu des rencontres avec des praticiens, des gens de terrains qui s’occupent de la question de la conversion en Israël aujourd’hui. On a reçu des avocats qui ont défendu des convertis dont la conversion était remise en doute par certains rabbins. On a rencontré le ministre des Services religieux en Israël qui est venu échanger avec nous. On a également échangé avec une artiste qui a fait un film sur le processus de conversion des femmes et notamment l’épisode du mikvé, c’est-à-dire du bain rituel, quand la femme qui se convertit doit s’immerger complètement dans le bain rituel en présence de trois hommes – ce qui est quelque chose de très discutable, car le mikvé c’est un lieu d’intimité pour les femmes. Cette artiste a fait tout un travail d’interviews avec un certains nombres de rabbins et  nous a partagé son expérience. Le colloque se composait donc de différents moments : certains très académiques et d’autres moments d’interaction avec des acteurs de la société.

Je suis donc venue en Israël pour ce colloque qui aurait dû avoir lieu en 2021 et avait été repoussé d’un an. Pour beaucoup de participants c’était le premier colloque en présentiel depuis deux ans, il y avait donc beaucoup d’enthousiasme et l’échange a été très fructueux.

Mais évidemment il n’était pas question que je vienne à Jérusalem sans faire un petit séjour à l’École biblique. Et donc cette semaine je travaille sur un petit article sur un texte de Qumrân, 4Q246, qui mentionne une figure appelée dans le texte “le fils de Dieu” et “le fils du Très Haut” et qui est visiblement un messie royal. Le texte interprète le chapitre 7 du livre de Daniel qui parle d’un fils d’homme qui arrive sur les nuées et à qui Dieu donne la domination sur tous les peuples du monde. Le texte de Qumrân est une sorte d’interprétation de ce chapitre du livre de Daniel et il identifie cet être décrit comme un fils d’homme avec le fils de Dieu et avec le messie royal. C’est un article pour un ouvrage collectif, un dictionnaire sur la réception de la figure de Jésus dans l’histoire.

Je travaille aussi sur d’autres textes de Qumrân qui entretiennent un lien thématique avec le livre biblique de Josué, pour le quatrième volume de La Bibliothèque de Qumrân qui est une édition bilingue de tous les textes de Qumrân aux éditions du Cerf.

D’autres gros projets pour l’avenir ?

Quelques projets de publications de livres personnels et aussi beaucoup de collaboration. Je vais participer à plusieurs colloques mais je ne compte pas en organiser dans les prochains mois.

 

Propos recueillis par Agnès Arthaud