FLAVIUS JOSÈPHE : CETTE QUESTION À POSER…

Étienne Nodet o.p., professeur émérite à l’École biblique, vient de publier Les Romains, les Juifs, et Flavius Josèphe aux Éditions du Cerf. L’occasion pour ce spécialiste de l’historien juif du Ier siècle ap. J.-C. de proposer dans son ouvrage une réponse à une question inédite…

La littérature sur Flavius Josèphe est abondante. En quoi se démarque votre livre ? Quelle est sa spécificité ?
Dans ces pages, je tente de répondre à l’interrogation suivante : pourquoi les Romains avaient-ils besoin de Josèphe alors qu’il était un général ennemi captif ? Personne encore ne s’était demandé cela.

Pouvez-vous donner à vos futurs lecteurs quelques éléments de réponse à cette question ?
Josèphe a écrit dans son introduction à la Guerre des Juifs que cette campagne, menée en 67-70 ap. J.-C., était la plus grande de tous les temps. Voilà un premier élément de réponse : la nouvelle dynastie d’empereurs avait besoin de Josèphe pour écrire une histoire teintée de propagande romaine. Ceci comme prix de sa liberté. Mais ce que je dis là n’est pas tellement novateur. Ce qui est intéressant de creuser, en revanche, ce sont les mécanismes socio-politiques à l’œuvre dans l’Empire à l’époque où Josèphe rédige sa Guerre des Juifs.
Vespasien et Titus deviennent successivement empereurs à peu près pendant cette période de guerre : le premier en 69, le second en 78. C’est une nouvelle dynastie qui succède à celle de Jules-César. Il est donc nécessaire pour eux d’asseoir leur autorité par le biais de la propagande. La narration de la guerre en Judée fait partie de ce programme pour lequel Flavius Josèphe porte aux nues la conquête. En réalité, vue de Rome, la Judée est bien petite ! Et les Juifs, bien qu’étant une grosse minorité dans l’Empire (environ 10% de la population), ne sont pas du tout soumis à Rome qui ne sait pas gérer ce groupe dispersé mais solidaire. Les Romains se heurtent depuis longtemps à une culture qu’ils ne comprennent pas, et après la guerre, la minorité juive continue de s’accroître dans l’Empire. Pour eux, Josèphe est celui qui comprend et fait la jonction entre les deux mondes – oriental et occidental.

Flavius Josèphe est décrié par certains spécialistes. En quoi ce personnage reste-il toutefois important pour la recherche ?
Je dirai que, de manière générale, il faut prendre au sérieux les textes anciens. Et cela, même si le contenu est orienté, comme c’est le cas pour l’œuvre de Josèphe – ou pour les manuscrits de la mer Morte ou encore les évangiles. Il faut toujours se demander pourquoi celui qui a écrit l’a fait : l’auteur d’un texte n’a pas écrit pour rien.
En ce qui concerne plus spécifiquement Josèphe, il fait un travail d’historien (au sens de l’historien de l’Antiquité) et ne veut rien perdre de la documentation abondante dont il dispose. Il arrive donc qu’il raconte de deux manières différentes un même événement. Cette riche documentation arrive ensuite jusqu’à nous. Si l’on ne possédait pas ses écrits, on ne comprendrait pas le Nouveau Testament. Les descriptions qu’il donne ont aussi été très utiles dans la formation du Nouveau Testament : certains rédacteurs se sont sans doute appuyés sur ses récits.
En définitive, Josèphe nous aide encore à comprendre beaucoup de choses !