À LA DÉCOUVERTE DE LA PHOTOTHÈQUE DU COUVENT SAINT-ÉTIENNE

Le fonds photographique du couvent Saint-Étienne regorge de photos de missions archéologiques et épigraphiques menées par les dominicains, mais également de photos anciennes, prises par les communautés religieuses de Terre Sainte et numérisées par le frère Jean-Michel de Tarragon.


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Responsable de la photothèque du couvent, il nous présente ce fonds à travers les missions des frères Jaussen et Savignac en Arabie en 1907, 1909 et 1910.



La photothèque, trésor de l’École biblique

Le fr. Jean-Michel de Tarragon est en charge de la photothèque depuis de nombreuses années : le travail est colossal. Il est à l’École biblique depuis 1980, et fut membre et photographe de beaucoup d’expéditions archéologiques. Ce texte est tiré du livre Jérusalem et la Palestine, réalisé sous la direction d’Elias Sanbar, à partir du fonds photographique de l’École biblique, chez Hazan. En savoir plus sur notre photothèque.

Le fonds photographique ancien des dominicains de Jérusalem se trouve au Couvent Saint-Étienne, Protomartyr de Jérusalem, lequel abrite l’École biblique et archéologique française. Juridiquement, il appartient au couvent, donc à la communauté dominicaine, et ultimement, à l’ordre des Prêcheurs.

L’École biblique est un petit institut de recherche, fondé par le père M.-J. Lagrange en 1890 dans les locaux d’une propriété acquise huit ans plus tôt par un groupe de religieux français, à trois cents mètres au nord de la muraille de Jérusalem. Le modèle était à l’époque l’École Pratique des Hautes études de la Sorbonne, d’où lpremier nom de l’institut, École pratique d’études bibliques. Selon l’intuition de son fondateur, l’aspect pratique de la recherche est mis en avant : il s’agit d’étudier la Bible en son contexte, sur place, pour tenir compte de tout l’environnement oriental. Dans le programme annuel des études, la jeune École inclut la découverte des pays de la Bible par le moyen d’excursions régulières, regroupant les étudiants et quelques professeurs. La visite systématique du “terrain” commence bien sûr par la ville même de Jérusalem soigneusement examinée année après année puis de tout le pays biblique, en cercles concentriques.

Le père Séjourné lors d’une excursion © École biblique

À l’époque de la fondation, les frontières n’étant pas aussi contraignantes qu’elles le sont devenues, la “caravane biblique” – ainsi la surnommait-on -, se rendait à cheval ou à dos de chameau en Transjordanie, dans le Hauran, dans les environs de Damas, à Palmyre ou vers le sud, au Naqab, et jusqu’au Sinaï. Ces excursions tenaient lieu de cours. Les professeurs dominicains initiaient les étudiants à la pratique de l’épigraphie, de l’archéologie, de la géographie historique, voire de la géologie. La caravane jubilait lorsqu’elle découvrait par hasard un milliaire romain inédit, une stèle qu’un fella venait montrer, un tombeau au flanc d’une falaise, un fragment de mosaïque : c’était l’occasion de faire, dans l’enthousiasme, des estampages, de dessiner, mesurer, calquer, décrire succinctement – et bien sûr, photographier.

C’est dans ce contexte précis que la pratique photographique de l’École biblique s’est développée. Si elle est restée celle d’autodidactes pour ce qui est de la technique, elle fut, pour les thématiques abordées, celle de professeurs chevronnés, bien au fait de leurs disciplines respectives. Cela donne une coloration toute particulière à ces photographies prises par ou pour des “savants”, et non, comme cela se faisait tant à l’époque, pour l’illustration plus ou moins «  romantique » des thèmes de l’Histoire sainte.

Les photographies ont été faites pour témoigner de la découverte de tel ou tel objet, de l’étude en cours, de la véracité d’un déchiffrement épigraphique, etc. Dans une perspective un peu positiviste, la photo est alors perçue comme une preuve objective complétant le relevé, le dessin. Elle est mise au même niveau que l’estampage, autre preuve indubitable. Certes la dimension artistique apparaît dans ces œuvres, mais comme involontairement : la qualité du regard du religieux photographe, sa culture générale (y compris iconographique), sa sensibilité, y sont pour beaucoup.

La photothèque dans le Couvent Saint-Étienne © École biblique

La clef d’interprétation de la collection est à trouver du côté des publications, effectives ou envisagées. Les photographies sont l’illustration des recherches des dominicains, lesquelles se transmettaient dans des monographies ou dans les articles du périodique scientifique de la maison, la Revue biblique fondée dès 1892, deux ans après le lancement si modeste et si périlleux de l’École elle-même. Les articles sont illustrés de photographies et d’estampages, et aussi, bien sûr, de relevés, de dessins et de croquis, réalisés par les auteurs ou délégués par ceux-ci au plus doué, surtout le père Hugues Vincent. Une belle répartition des tâches se met tout de suite en place, selon les capacités et les goûts des religieux. L’École biblique était animée d’un joyeux esprit d’équipe, sur le terrain comme à la maison. Le père Vincent fait les relevés, les croquis, les dessins, les coupes stratigraphiques ; il se charge aussi souvent des estampages, bien que tous sachent estamper. Paul-Marie Séjourné, puis Bernard Carrière, Antonin Jaussen et Raphaël Savignac, notamment, photographient, avec en parallèle à Savignac vieillissant, Raphaël Tonneau puis, à partir de 1935-1936, Pierre Benoit, et Roland de Vaux.

Les pères dominicains ne signaient guère leurs photos et ne les dataient pas plus puisqu’elles n’étaient destinées qu’aux publications en cours. D’où le casse-tête de l’archiviste aujourd’hui !



Exposition de la photothèque à Nazareth

M. Raphaël Merci, directeur de l’Institut français de Nazareth, a proposé de monter dans son Institut, au plein coeur de la vieille ville de Nazareth, des éléments de l’exposition photographique préparée en 2017 pour les Territoires palestiniens, déjà encadrée et dont les légendes bilingues étaient déjà rédigées.

Le thème est Villages de la Palestine d’autrefois. Au final, 32 des 40 grands tirages ont pu être accrochés à Nazareth, et le vernissage a eu lieu le 9 mars 2018, en présence du fr. Jean-Michel de Tarragon, qui a fait une présentation au public, fort intrigué par ces photographies du patrimoine architectural et rural de la Palestine d’avant 1948.

L’exposition y reste un mois et demi, du 9 mars au 27 avril 2018.



Secrets de photothèque : les religieux de Jérusalem en 14-18

Fr. Jean-Michel de Tarragon, o.p. s’occupant d’une main de maître de la photothèque de l’École biblique a publié un article à l’occasion du centenaire de la Première Guerre mondiale. Initiative personnelle, le dominicain a cherché dans divers lieux d’archives de la Vieille Ville, des traces de la vie dominicaine ou plus largement des religieux catholiques à Jérusalem pendant la guerre.

Religieux français pendant la guerre

Cette période qu’est la Guerre 14-18 fait l’effet d’un véritable trou noir pour les historiens : France, Russie, Italie, Angleterre étaient les ennemis déclarés des Ottomans, qui avaient par conséquent expulsé des couvents de Terre Sainte les religieux de ces nationalités. Les sources d’information se sont donc considérablement taries à ce moment précis de l’histoire, alors même que la situation historique et politique brûlante attise la curiosité.

L’armée ottomane avait chassé les dominicains du Couvent Saint-Étienne de Jérusalem et occupé le lieu : il n’y a donc dans la photothèque qu’une seule photographie rendant compte de cette période, malgré ses 25000 images. Les journaux, ou diaires, tenus par les communautés sont suspendus. Seule source d’information : le consul d’Espagne, Ballobar, chargé de tenir le journal de bord des « intérêts de l’ennemi ». Son lien avec la France permet donc de retrouver nombre d’informations.

Mais il existe également un deuxième vivier : le Couvent Sainte-Anne des Pères-Blancs. Quoique toute la communauté ait été contrainte à quitter les lieux, restent trois Néerlandais : deux frères convers et un frère prêtre, Nicolaas van der Vliet. De ce dernier, restent plusieurs photographies personnelles et un journal écrit en français. C’est donc sur ces sources précieuses que le frère Jean-Michel fonde son travail de chercheur et de photographe.

De droite à gauche : Comte de Ballobar, Jamal Pasha, le consul grec Mr. Raphaël,
et un consul non-identifié, 1916 © École biblique et archéologique

Lire l’histoire par la photographie

C’est ainsi que l’article fut publié dernièrement dans la revue Palestine Studies, Jerusalem Quartery. Il rappelle le contexte de l’époque, illustré par les photographies inconnues de ce prêtre, que les Pères-Blancs ont accepté de prêter à l’École pour qu’elle les scanne et les conserve.

Sur celles-ci, figurent tant le consul espagnol que Nicolaas van der Vliet, ainsi que d’autres figures politiques de l’époque. Cet article illustré permet donc de s’instruire sur la situation des religieux à Jérusalem pendant la guerre, grâce à l’œil d’un photographe historien.

Voyez plutôt : pour lire l’article, cliquer ici.



Photothèque

Photothèque

Depuis 1890, les frères dominicains de l’École biblique se transmettent et enrichissent une collection inédite de photographies, parmi lesquelles 25 000 photos anciennes.

Aujourd’hui, le Père Jean-Michel de Tarragon en est le principal responsable et travaille chaque jour à la numérisation de photos centenaires ou à la mise en valeur de ce patrimoine unique à travers des publications et expositions.

L’archivage

La collection du couvent St Étienne et de l’École biblique est conservée dans une grande pièce voûtée, à Jérusalem, où les plaques de verre sont rangées dans leurs boîtes d’origine, aux noms familiers « A. Lumière  & ses fils », « Guilleminot & Boespflug », « J. Jougla », etc., par formats, les étagères du bas supportant les plus lourdes, 18 x 24 cm, et celles du haut, les 9 x 12 cm. Le rangement remonterait à 1950, quand les plaques ont été retirées des chambres particulières pour constituer une photothèque. Un grand meuble en bois a été fait sur mesure. Alors un programme d’archivage a commencé. Les verres ont été rangés dans un même meuble ; deux répertoires manuscrits des négatifs ont constitué un inventaire ; un contactage (si l’on ose ce jargon) systématique d’environ 12.000 documents a été entrepris, mais à l’extérieur. Chaque verre (dont une bonne partie des 2.100 petits stéréoscopiques) a bénéficié vers 1950-51, d’un tirage papier « moderne », par contact – conservant le format d’origine. Ces milliers de positifs papier ont été collés dans 24 albums, suivant l’ordre alphabétique des lieux, en deux séries, Palestine, et Pays voisins. Le religieux qui en prit la peine a légendé à la plume chaque photo. Les légendes doublent celles du gros registre et permettent d’identifier sans peine les clichés collés sur les pages noires des albums. Il inscrivit aussi les références bibliographiques des publications des photos, surtout issues de la Revue biblique. Les vingt-quatre albums sont fréquemment consultés. Trois albums concernent la ville de Jérusalem ; d’autres sont consacrés à ce qui fut les grandes entreprises. La célèbre croisière sur la mer Morte de 1908 a droit à un album spécial, de même que l’expédition au Hedjaz, 1907, 1909, 1910. L’album 24, « Épigraphie », rassemble curieusement des photos d’estampages, classées par langues et selon leur ordre alphabétique : accadien d’abord, arabe, araméen, il s’achève avec le thamoudéen et le vieux-perse. Cet album renvoie une fois de plus à la dimension sérieuse et austère de la collection… Quelques photos collées sont des dons anciens (d’étudiants de l’École, probablement), sans leur négatif verre : légendées, elles ont été numérisées.

Depuis 2010, nous assurons la conservation des plaques de verre dans des enveloppes à quatre rabats, en papier non-acide (au Ph neutre), enveloppes rangées dans des boîtes en carton, également non-acide. Toutefois nous gardons en place l’ancien dispositif et le vieux meuble en bois fait sur mesure avec ses nombreuses boîtes « A. Lumière », etc., est témoin de la photothèque ancienne. À terme, un meuble moderne recevra les verres dans leurs nouvelles boîtes.

La numérisation

À ce jour (fin 2012), nous atteignons le nombre de 19.000 clichés noir et blanc anciens numérisés, et 3.000 positifs pour projection, en verre, lesquels doublent la plupart du temps les négatifs.

La numérisation systématique a commencé début 2002 par la partie la plus ancienne du fonds, les plaques de verre. Nous avons été alertés du danger que couraient les innombrables diapositives couleur plus modernes, dont la chimie se détériore plus vite que la gélatine aux sels d’argent des plaques de verre. Nous avons mené en parallèle la numérisation d’environ 30.000 transparents couleurs, provenant essentiellement de nos chantiers archéologiques ou de voyages d’exploration au Proche-Orient, et de dons d’anciens élèves de l’École.

Le plus délicat a été la saisie des plaques de verre. Nous avons suivi le protocole de traitement du laboratoire photographique parisien La Chambre noire.

La saisie des plaques s’est faite d’abord sur scanner Quatto (limité au format A4), puis sur un Epson 10000 XL (jusqu’au A3), qui remplace le Quatto. La lecture est en 48 bits couleur (même pour le noir et blanc), en mode RAW (Brut), TIFF. Les fichiers sont immédiatement convertis en niveaux de gris, 16 bits, RAW toujours, et archivés sous ce mode (CD et disque externe, le tout doublé, soit 4 archivages + 1 jeux de sécurité à Paris). La taille des fichiers est fixée à 12-13 mégas en 16 bits, N & B.

Enfin, le laboratoire La Chambre noire intervient sur les fichiers RAW 16 bits TIFF pour les transformer en TIFF 8 bits travaillés a minima : sans correction des plaques – rayures, etc., mais avec équilibrage fin de la balance et des contrastes, pour les rendre lisibles et utilisables en imprimerie jusqu’au format A4, 300 ppi, TIFF, soit des fichiers de 6,2 mégas en moyenne. Cette version de travail est à son tour archivée en 5 exemplaires (4 à Jérusalem, 1 à Paris).

En mars 2005, la 10.000e plaque de verre était numérisée. En 2010, on atteint 18.000 (pour les noir et blanc) : le gros du fonds des dominicains est numérisé.

Les diapositives couleur sont saisies sur un scanner Nikon Coolscan 9000 ED, suivant la même procédure (16 bits RAW, TIFF). Mais elles sont trop nombreuses (environ 30.000) pour être traitées par le laboratoire parisien, et l’archivage se fait provisoirement sur le mode RAW. Seules les précieuses 90 diapositives couleur des fouilles de Qumrân (mer Morte) ont été retravaillées par le laboratoire parisien.

Les appareils photographiques anciens

La photothèque a eu la chance de conserver la presque totalité du matériel photographique ancien. Nous avons aussi bien les appareils de prise de vue que leurs accessoires : sacoches de transport, magasins de plaques de verre, trépieds en bois, objectifs démontables (grands angulaires notamment), etc. – le tout en bon état. Les chambres photographiques, en acajou et soufflet de cuir, sont dans les formats 18 x 24 cm ou 9 x 12 cm. De même, nous possédons deux gros projecteurs contemporains des 4000 positifs en verre, ancêtres des diapositives. Ils fonctionnaient d’abord au gaz acétylène, avant d’être électrifiés sous 110 volts. Deux épidiascopes, l’un en beau bois et l’autre en métal noir, projetaient plans ou cartes postales. Les différents passes-vues en bois sont là, prêts à l’emploi. Nous n’avons pas trouvé trace d’agrandisseur ancien et seulement des châssis pour contacts au soleil.

Nous possédons deux grandes chambres au format 18 x 24 cm, et quatre au format 13 x 18 cm ; une chambre au format 11 x 15 cm ; pour le 9 x 12 cm, trois chambres et une Linhof en 6 x 9 cm. Il faut ajouter deux appareils rigides à châssis-magasin permanent, intégré : l’un au format 11 x 15 cm, l’autre 9 x 12 cm. Sont apparus les « foldings » en format 10 x 15 et 6 x 9. Dans le matériel ancien, il faut noter les stéréoscopiques, fort prisés du P. Jaussen : deux sont de la marque Le Glyphoscope, Jules Richard puis un Zionscope au format d’image 4 x 4,4 cm. Notons quatre belles optiques Berthiot, auxquelles il faut en ajouter une A. Bauz, Paris, une Protar Zeiss, une E. Krauss, Paris, une Bellieni, Nancy… Quant aux Leica, nous avons d’abord deux modèles dits « Standard », des années 1926-1930 (n° de boitier 48869, objectif Elmar 1 :3.5, 50 mm ; et boitier n° 56236, objectif Elmar, n° 170164, année 1930 ; un télémètre amovible vertical). Puis, le Leica de la fin des fouilles de Qumrân (manuscrits de la mer Morte) : un modèle M 3, n° 836 076, à trois optiques, Summicron, Summaron, Hektor ; enfin, des accessoires Leitz (cellule, système pour macrophotographie, filtres).



QUMRÂN: L’UNION DU DOCUMENT ET DU MONUMENT

Fidèle à sa vocation d’étudier la Bible dans le contexte physique et culturel où elle a été écrite, l’École Biblique et Archéologique Française de Jérusalem, a joué un rôle de premier plan dans la découverte et dans les campagnes de fouilles menées à Qumrân. Bref retour sur les recherches qui ont permis de renouveler nos connaissances sur les Esséniens, l’histoire de la région, les prémices du christianisme…

Constitué d’une suite de terrasses au pied des falaises qui surplombent la mer Morte, Qumrân marque l’entrée orientale du désert de Judée. De nombreuses grottes naturelles en bordent les versants, alternant avec celles creusées de main d’hommes. Les fouilles de Qumrân associent deux types de trouvailles : les manuscrits, découverts dans les grottes et les vestiges d’un habitat : la Khirbet Qumrân. Les uns parlent des croyances de populations juives dans l’Antiquité quand les autres témoignent du mode de vie de ces communautés.

En 1947, des Bédouins découvrent huit jarres en bon état et des débris ainsi que sept rouleaux de cuir recouverts de signes étranges. Les rouleaux passent des mains d’un cordonnier à celles d’antiquaires pour devenir finalement la propriété de l’université Hébraïque de Jérusalem pour trois d’entre eux et celle de Monseigneur Samuel, archevêque syrien orthodoxe de Jérusalem pour les quatre autres.

Le frère Roland de Vaux à Qumrân

Jusqu’en 1956, ce phénomène se répète, les Bédouins découvrant de nouvelles grottes et vendant les manuscrits aux antiquaires. Ainsi furent mises au jour à Qumrân onze grottes contenant quelques 981 manuscrits anciens. Le mérite du rachat et de la sauvegarde de la grande majorité de ces pièces revient à Gérald Lankester Harding, directeur du département des antiquités de Jordanie, et au P. Roland de Vaux, directeur de l’École biblique et archéologique française et administrateur du Musée archéologique de Palestine. Avec les archéologues de l’EBAF, ce dernier conduisit les fouilles successives du site de 1949 à 1956. Il fut le premier éditeur de la publication officielle des manuscrits.

C’est au dominicain D. Barthélémy et à l’abbé J.T Milik qu’échut l’analyse des premiers fragments, sous la direction de Roland de Vaux qui constitua une équipe internationale et interconfessionnelle de rechercher et d’étude. Plus ancien centre de recherche de Terre sainte et seule institution alors capable de mener à bien ce chantier titanesque, l’École fut à la hauteur de la confiance placée en elles par les autorités jordaniennes.

Le père Émile Puech, Directeur de Recherche émérite au CNRS, Professeur émérite de l’ÉBAF, et spécialiste mondialement reconnu des manuscrits de la mer Morte ainsi que de l’histoire de Qumrân partage encore aujourd’hui l’histoire de ce site qui fascine. Il contextualise : “Ces textes constituent une documentation inestimable sur la Bible hébraïque, le judaïsme ancien dans sa diversité, les courants de pensée à l’époque effervescente où le christianisme s’enracine. Ces textes furent mis au jour dans une Palestine incertaine et bouillonnante, alors que le mandat britannique sur le territoire touchait à sa fin et que l’assemblée générale des Nations-Unies envisageait une partition du pays en deux États, arabe et juif.”

Tous les éléments étaient réunis pour faire de Qumrân un site archéologique d’exception qui passionne encore aujourd’hui exégètes, archéologues et historiens. Cette année encore, malgré les aléas de la guerre, les étudiants de l’EBAF ont pu en goûter les mystères.

“Ceux qui, si souvent, ont planté leur tente au pied de la falaise ou sur le plateau de Qumrân, garderont la nostalgie de ce paysage étonnant de grandeur austère, dans lequel le passé s’est recomposé pièce à pièce sous leurs mains.” Roland de Vaux

Le père Emile Puech avec des étudiants sur le site de Qumrân

 

Propos recueillis par Emeline d’Hautefeuille, auprès d’Émile Puech
Photos : Ébaf, Ordo Praedicatorum, Photothèque Ébaf



IN MEMORIAM ÉTIENNE NODET, OP, (1944-2024)

Les frères dominicains et les membres de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem saluent la mémoire du frère Étienne Nodet, o.p, décédé le 4 février 2024 à Jérusalem.

Né en 1944 à Bourg-en-Bresse, ville natale du père Lagrange, son entrée chez les dominicains en 1967, puis son arrivée à l’École en 1977, semblaient s’imposer. Polytechnicien, doté d’une maîtrise en philosophie et en théologie ainsi que d’un BA en Talmud, le frère Étienne était un esprit brillant et polymathe.

Au noviciat à Lyon, il découvre l’exégèse biblique qu’il part approfondir à l’université hébraïque de Jérusalem en 1974. Il rejoint la maison d’Isaïe de la province dominicaine de France, à l’ouest de la ville. C’est là qu’il étudie la société israélienne, et se passionne pour l’histoire du judaïsme antique. Étienne s’attaque à son œuvre majeure : traduire, contextualiser, expliquer et annoter les Antiquités juives de Flavius Josèphe. Inspiré par la littérature rabbinique, il a été un des premiers à vouloir réinventer la manière d’éditer la bible, convaincu de la richesse d’une lecture comparative des différentes sources bibliques et de leur réception. Cette intuition inspire aujourd’hui le programme de recherche de La Bible en Ses Traditions. Esprit déconcertant et provocateur, il ne s’interdit jamais d’explorer de nouvelles voies, des Samaritains aux Esséniens, en passant par une nouvelle traduction de la Bible. Bourreau de travail et extrêmement rigoureux, tous se souviennent d’Étienne comme d’un homme original et passionné.

Arrivant à l’Ébaf, il reçoit la charge des visites topographiques et sillonne le pays à bord de sa Jeep à travers désert et pistes abandonnées pour faire découvrir les sites archéologiques et bibliques. Visionnaire à bien des égards, il fut le premier à l’Ébaf à utiliser un ordinateur portable pour prototyper un nouveau clavier contenant toutes les variétés de symboles possibles et imaginables, permettant ainsi aux étudiants et chercheurs de rédiger en grec ancien !

Je lis l’Écriture dans la foi.” disait Étienne à sa communauté. Exégète historico-critique, il vécut jusqu’au bout la tension entre l’aridité de la raison et son témoignage d’un “Dieu vivant”. À travers son engagement de frère prêcheur auprès du chemin néocatéchuménal et son travail au sein de l’institut Ratisbonne, il témoigna de sa profonde humanité.

Le couvent Saint-Étienne et l’École biblique et archéologique française rendent hommage à Étienne Nodet, un esprit libre, exigeant, et plein d’humour. Il mit toute son énergie et son temps pour vivre la parole de Dieu et la transmettre à des générations d’étudiants. Sa mort soudaine laisse un vide immense au sein du monde de la recherche.

Propos recueillis par Emeline d’Hautefeuille, chargée de communication
Photos article : Ébaf, Ordo Praedicatorum
Photo en-tête : Photothèque Ébaf 



UN ANCIEN ÉTUDIANT DE RETOUR COMME ADMNISTRATEUR DE L’ÉCOLE

Quelques jours avant Noël, le frère Kevin Stephens o.p., a rejoint Jérusalem comme administrateur de l’Ébaf et syndic du couvent Saint-Étienne. Il reprend le flambeau du frère Stanislaw Gurgul o.p. qui rejoint quant à lui le couvent de Genève.

Le frère Kevin nous vient de la province saint Albert le Grand aux États-Unis. Parfaitement bilingue, il a appris le français à l’école, et l’a abondamment pratiqué au réfectoire du couvent saint-Étienne de Jérusalem ! Informaticien, comédien et bibliste, il n’en est pas à son premier séjour à l’École biblique et archéologique française.
Il rejoint chez les Dominicains en 2001, après une dizaine d’années au sein d’une compagnie de théâtre semi-professionnelle où, entre autres, il mit en scène Kentucky Cycle de Robert Schenkkan (prix Pulitzer 1992) et joua dans L’Illusion comique de Corneille. Ordonné prêtre en 2008, il prépara sa licence en Écritures Saintes à l’Ébaf de 2008 à 2012, avant de soutenir sa thèse de doctorat sur la nudité d’Isaïe en 2019. Depuis 2008, il fait partie du programme de recherches de la Bible en ses Traditions. “On peut dire que j’ai écrit le site de la BEST”, sourit-il. Jusqu’à son arrivée, il enseignait aussi l’Ancien Testament à l’Aquinas Institute of Theology (Saint Louis, Missouri).

L’annonce, en mars 2023, de son assignation à Jérusalem, fut une surprise pour lui, mais une « surprise qui a du sens ». Son bagage d’informaticien et ses nombreux séjours à l’École biblique et archéologique française seront autant d’atouts pour succéder au frère Stanislaw. Soulagé d’être enfin arrivé après quatre reports dûs au contexte de guerre, le frère Kevin confie être profondément heureux de revenir vivre à Jérusalem et de servir l’Ébaf – “my second home”. Retrouver les frères, la culture locale, l’atmosphère de ce coin de Proche-Orient avec ses odeurs, ses saveurs, ses visages et ses histoires partagées qu’il a quittés il y a quatre ans, donnent tout son sens  à cette nouvelle étape.

Vue de la procure en 1910, avec la balance postale sur l’étagère au fond à gauche (Photothèque Ébaf)

Frère Kevin avec la balance postale du procureur, héritée de frère Stanislaw

 

Photos: Ordo praedicatorum
Propos recueillis par ChD